Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/218

Cette page a été validée par deux contributeurs.
210
mes mémoires

Je montre la lettre de mon évêque à mes plus intimes qui en restent pantois. Lors d’un Congrès de l’Enseignement secondaire à Québec, je fais voir la même lettre au supérieur du Collège, l’abbé Pierre Sabourin, à l’excellent M. Edmond Aubin, préfet des études. Tous deux s’en réjouissent. Ils souffraient autant que nous de ce que l’on appelle dans la maison par trop irrévérencieusement : « le gouvernement de la queue », c’est-à-dire du clan des favoris. On se réjouit particulièrement de l’offre d’entrevue que me fait Mgr Émard. MM. Sabourin et Aubin m’exhortèrent chaudement à ne pas manquer l’occasion. À tout prix, me dit-on, il faut mettre l’évêque au courant de l’intolérable situation de son collège, le prier d’y mettre ordre et de faire cesser les inutiles divisions. M. Aubin, je dois le dire, désapprouve mes projets de départ. Il me le dit dans une lettre de lui qui est du 14 juillet 1913.

Que dois-je attendre de mon entrevue avec l’évêque ? Je l’appréhende, cette entrevue, et pourtant, encore naïf, je la souhaite vivement. Mgr Émard est de retour au Canada vers la fin d’août, si je me souviens bien. Quelques jours après son arrivée, je me présente à l’évêché. Monseigneur refuse d’abord de me recevoir. Il prétexte occupation, visite de parents, etc. Comme je suis venu de Vaudreuil, — c’est pendant les vacances, — je ne prétends, pour rien au monde, m’en retourner les mains vides. J’insiste auprès de M. Dorais. Je ne demande à Monseigneur qu’une douzaine de minutes. Il cède. Mais je me trouve en face d’un évêque aux sourcils froncés, de franche mauvaise humeur. Il me reproche de le prendre d’assaut. Je lui rappelle qu’il a lui-même sollicité cette entrevue ; qu’elle peut être très courte s’il veut bien me laisser parler… Mais, autant le dire tout de suite, comment raconter cette entrevue ? Sorti de l’évêché et de passage au Collège où je rencontrai, ce jour-là, quelques amis, je leur avoue, je m’en souviens, ma totale impuissance à raconter ou résumer ce qui vient de m’arriver. Par quel bout commencer ? leur dis-je. Et j’essaie de rassembler, en quelque suite logique, les