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a commencé de grouper non seulement l’élite de la communauté écolière, mais l’élite aussi des grands séminaristes et des professeurs. Pour employer une image plus ou moins juste, mais fort éclairante, au lieu d’aller à droite, l’influence passe à gauche. Inévitablement deux groupes sont apparus dans la communauté, deux groupes fort exposés à se transformer en clans. Nous, les gens de la gauche, avons-nous toujours usé de prudence, d’opportune diplomatie ? Il se peut que non. Professeur de Rhétorique, directeur des deux Académies collégiales, directeur spirituel d’une bonne partie des élèves des hautes classes, directeur spirituel aussi de quelques séminaristes et de quelques prêtres, mon action, vue de l’extérieur, peut paraître considérable. Ce rôle, ai-je fait tout le possible pour me le faire pardonner ? Mes dirigés ont-ils toujours usé d’assez de discrétion ? Maintes fois, j’ai recommandé à mes jeunes collégiens d’action catholique d’éviter scrupuleusement, parmi leurs camarades, tout air de supériorité. En même temps que je les veux les plus disciplinés, les plus studieux, les plus pieux, je les veux les plus discrets et les plus humbles. L’apôtre n’a pas à s’enorgueillir, leur ai-je sans cesse répété, de cet appel immérité du bon Dieu, à l’une de ses tâches. Connue d’un bon nombre de professeurs — surtout depuis la publication d’Une Croisade d’adolescents — l’œuvre n’opère pas moins secrètement. Elle y voit une condition essentielle de fécondité. Mais comment empêcher ceux-là qui n’en sont point, d’en sentir plus ou moins la présence ? On en soupçonne l’existence, l’action sourde, un peu, j’imagine, comme un arbre, doué de vie sensible, sentirait au-dedans de soi, le travail d’un greffon remuant, ambitieux, qui s’emploierait à bouleverser ses cellules et sa sève. Au surplus une si grave divergence de pensée ne saurait s’affirmer sur un point capital de l’éducation collégiale, que fatalement des discussions, des controverses ne s’élèvent entre collégiens et entre professeurs. Contre le groupe des partisans de l’éducation intégrale, un autre groupe ne peut qu’inévitablement se former. Et ce dernier n’a pas à chercher longtemps où s’appuyer, ni à se beaucoup dépenser pour devenir le groupe des favoris… À quoi bon insister ? Voilà bien le problème décidément posé et en termes graves : à qui irait l’influence dirigeante au Collège de Valleyfield ? Je passe sous silence les pressions exercées en haut lieu, sur quelques séminaristes, sur mes élèves, sur mes dirigés, pour les induire à