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premier volume 1878-1915

nous, viendra nous bénir. Notre attente est plus que comblée. La porte s’ouvre. Le bon Pie X nous fait signe d’avancer dans son cabinet de travail où il vient de causer avec l’archevêque. Nous n’en pouvons croire nos yeux. Les trois jeunes étudiants, debout autour de la table de travail du Saint-Père, admis dans son intimité, l’entourent comme des écoliers peuvent entourer leur maître. Facilement, nous lisons les titres des volumes, des revues qui s’entassent sur le bureau. Nous y jetons un œil presque indiscret. Mes compagnons ont apporté des photographies du Saint-Père ; il y appose, le plus volontiers du monde, son autographe. Je lui tends mon bréviaire ; il y écrit : Deus benedicat te. Bénédiction que je garderai désormais comme une insigne relique. Mgr Bégin nous regarde faire, avec un sourire un peu gêné : « Très Saint-Père, risque-t-il, ne laissez pas faire ces gamins. » — « Laissez-les faire, répond le Pape, de son ton le plus paternel ; cela leur fait tant plaisir ! » Au soir de sa dure journée, nous avons tous trois l’impression que le bon Pie X se sent infiniment heureux de secouer le protocole et de s’offrir cette détente. Audience qui ne s’oublie pas et de celles dont bien peu ont pu connaître l’heureuse fortune.

Que n’ai-je gardé de Rome et de l’Italie ces seuls et émouvants souvenirs ? Certes, mes yeux se sont souvent posés, avec quelle jouissance toujours renouvelée, sur les multiples aspects ou paysages du vieux pays italien, véritable musée sous le ciel. Beautés, évocations historiques qui surgissent à chaque pas, et avec quel puissant relief ! Toiles, fresques géantes, immenses, où un peintre de génie aurait retracé les grands moments de l’humanité. On ne cesse pas de s’enchanter des images et des souvenirs d’Assise, de Florence, de Venise, quand une fois on a visité ces lieux. L’image de Rome surtout, je la porterai longtemps au fond de ma mémoire, telle qu’elle m’est tant de fois apparue, du balcon du Pincio, les soirs où les couchers du soleil romain embrasaient le Janicule et la coupole de Saint-Pierre. Contemplée de là, alors que sous les cyprès du jardin féerique et dans la compagnie familière des bustes des empereurs et des plus illustres fils de la patrie italienne, un orchestre nous jouait les grands airs de la musique classique, la Ville éternelle n’avait pas à nous définir plus expressément l’idée de civilisation.