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XII

MON DÉPART POUR ROME

Chaque jour me faisait sentir cruellement mes trop manifestes limites. Je me sentais au-dessous de ma tâche de professeur de littérature, au-dessous de mon rôle de directeur spirituel de jeunes gens. Je souhaitais acquérir plus de philosophie, plus de théologie, plus de culture littéraire, plus de culture tout court. Mais où prendre l’indispensable butin ? Un enseignement supérieur de ces disciplines n’existait pas encore en nos universités françaises. Un séjour d’études à Rome, à Paris ou ailleurs s’imposait. Mais comment y aller ? Mon traitement de professeur à $40 par année pendant mes quatre ans de séminariste, puis à $100 par année devenu prêtre, — cent piastres dont il fallait déduire $10 pour la caisse ecclésiastique, plus $20 pendant vingt ans, à titre obligatoire de « bienfaiteur insigne » du collège, — ne me permettait guère d’accumuler des économies. Inutile de compter sur mes parents. Ils s’étaient saignés aux quatre membres pour me maintenir au collège ; de mes frères et de mes sœurs fréquentaient encore le collège ou le couvent. La famille n’était guère sortie de ses embarras de finance. Inutile également d’espérer quoi que ce soit de mon évêque. En toute bonne foi — et dans son for intérieur — avait-il tellement tort ? — il me jugeait esprit trop aventureux, trop dangereux pour me donner la chance de m’équiper intellectuellement. Sans que je m’en doute, la fondation de ma petite Action catholique, c’était déjà l’introduction du laïcat dans la vie de l’Église. Presque une hérésie à l’époque ! Au mieux, sur une pétition de ma part, mon évêque aurait tôt fait d’invoquer les finances trop modestes de l’évêché. Les choses