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premier volume 1878-1915

confrères, nous nous étions composé une bibliothèque de ces sortes de livres. Il y en avait pour tous les âges. Nous les faisions lire. Je priais mes dirigés d’en lire un au moins par mois, sans préjudice bien entendu, à leurs autres lectures commandées par leurs études. Moyen à ne pas dédaigner. Maintes fois, je constatai qu’un enfant normal ne résiste pas à cette influence souveraine des grandes amitiés. Après deux ans, trois ans de vie en ces compagnies de choix, l’âme est retournée, gagnée à une noblesse de sentiment et de pensée qui ne la quittera plus.

Insisterai-je davantage ? Si souvent des jeunes prêtres m’ont demandé où se documenter, comment se préparer au terrible métier d’éducateur. Qu’on me permette donc d’y revenir encore une fois. Où avais-je pris la susbtance, le corps de cette doctrine d’éducation ? Tout à l’heure, j’ai indiqué quelques-unes de mes sources. À celles-là j’ajouterai sans doute mes études de philosophie et surtout de théologie. Je ne puis m’empêcher de noter toutefois la pauvreté spirituelle où se débat, encore après 1900, un jeune prêtre, et surtout un jeune éducateur qui ambitionne de s’acquitter convenablement de sa tâche. Où trouver alors un véritable maître en état de faire école ? Point d’école normale d’enseignement secondaire non plus. Au Grand Séminaire, rarement voit-on les professeurs — le professeur de dogme particulièrement — s’accorder une pause pour indiquer le profit, le parti à tirer de telle ou telle vérité divine, profit pour sa propre vie intérieure, pour l’exercice du ministère sacerdotal, en particulier, pour la prédication ou la direction des âmes ! Même dans les retraites sacerdotales, comme il est rare de rencontrer un prédicateur, homme de doctrine et de vertu, qui vous instruise et vous remue véritablement. D’ailleurs, il est bien entendu que, pour ces prédicateurs et même pour les plus avisés, l’éducateur n’existe pas. On ne prêche jamais que pour le prêtre du ministère paroissial, et ce, dans une province où le clergé porte pourtant l’effroyable responsabilité médiate ou immédiate de tout l’enseignement et de toute l’éducation. Les fondements de ma doctrine d’éducation, je les ai ramassés par fragments, par miettes, ai-je dit, dans les Lettres de Lacordaire et de Perreyve à des jeunes gens, dans les œuvres du Père M.-S. Gillet, dans la vie de quelques saints et la biographie de grands laïcs apôtres. J’ai beaucoup lu et médité la vie du