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voir les généreux mouvements, les expansions cordiales et imprévues. Il n’eut pas cette clairvoyance suprême d’un cœur dévoué qui va droit au but qu’il s’est assigné. Pourtant il avait l’esprit assez élevé pour saisir toute la portée des obligations qui lui incombaient, qu’il avait contractées en acceptant un rôle actif d’homme public. Mais ses préjugés, son éducation, la voix du sang peut-être, toutes les sirènes du passé parlèrent plus haut dans cette âme aristocratique que le langage de la raison et firent taire ses instincts d’humanité attendrie.

Il semble, d’ailleurs, que plus tard d’Aurevilly ait eu l’intuition et comme le regret de son rôle d’une heure piteusement avorté. « Ah ! que j’aime les hommes qui devinent mon âme ! écrivait-il à Trebutien le 9 décembre 1<S51. Au faubourg Saint-Germain, ils disent : « Oui, c’est un esprit redoutable », parce que je leur montre parfois l’acier damasquiné d’une épigramme affilée, mais l’âme que j’ai, qui s’en doute ?… Les gens du peuple ont plus d’instinct. Du temps que je présidais un club de 20.000 ouvriers, les ouvriers disaient : « Ce que nous aimons de notre Président, c’est qu’il a l’air d’avoir souffert ». Je n’oublierai point cette parole. Une voix vibrante, un air de tête trop impérieux peut-être, — comme mon diable de style, — ne faisaient point illusion à ces braves gens ». Pourquoi donc n’avait-il pas su profiter de cette disposition de la foule à son égard ? S’il s’était bien rendu compte, en 1848, de l’influence heureuse d’une âme qui se livre sur les imaginations populaires, peut-être se fût-il alors solennellement réconcilié avec la démocratie.

Mais, dans le tourbillon qui emportait la société française vers des destinées inconnues, au lendemain de la Révolution de Février, les plus calmes étaient affolés, les plus clairvoyants devenaient aveugles. D’Aurevilly rejeta