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avait mis sur son chapeau, en guise de panache, le plumet de r « individualisme ».

Dans tous ces milieux de la littérature organisée et centraUsée, on reconnaissait que le critique du Pays avait beaucoup de talent ; mais on ne pouvait souffrir ses airs de matamore ni ses tapages d'indépendance outrée. Barbey d'Aurevilly était flatté, au fond, des hommages involontaires qu'on rendait à sa valeur réelle, même en l'excluant, et c'est pourquoi il n'y avait pas place pour la rancune dans son cœur. Ses intentions étaient, en défi- nitive, désintéressées. Evidemment, il se chargeait seul de la cause de Tindividualisme avec un peu trop de fracas; il apportait à la lutte quelques excès d'ardeur, d'assurance et de fanfaronnades. Mais on ne peut pas dire qu'il agît sans mandat, car ses titres littéraires lui donnaient le droit de parler haut et de faire entendre une voix autorisée.

Un soir, dans un salon, d'Aurevilly se rencontre avec le poète Siméon Pécontal, alors assez en vue. Le romancier fait mille gracieusetés au poète et lui dit brusquement, en lui avançant un siège : « Allons, mon cher monsieur, prenez ce fauteuil en attendant l'autre ». Pécontal, radieux, oublie toute modestie. Rempli de cette touchante fatuité de certains candidats à l'Académie, qui se consi- dèrent déjà comme élus et attachés à la maison, il répond : « Et vous, mon cher critique, pourquoi ne seriez-vous pas des nôtres ? » Alors se redressant et retroussant sa moustache, Barbey prononce sentencieu- sement : « Qui donc vous jugerait? » N'est-ce pas là le dernier mot de l'individualisme hautain et méprisant?

En réalité, Barbey d'Aurevilly n'était apte, par ses allures tranchantes, à entrer dans aucun groupe et sur- tout à s'y tenir tranquille. Il croyait ne pouvoir rester