Page:Grelé - Jules Barbey d’Aurevilly, L’œuvre, 1904.djvu/293

Cette page n’a pas encore été corrigée

- 289 —

plus curieux de séduction intellectuelle qu'on connaisse. Trebutien en était venu à ne plus vivre d'une vie person- nelle : il vivait, tel un satellite sans éclat, dans la rayonnante orbite de son ami, il s'ingéniait à emprunter ses manteaux écartâtes et ne redoutait pas la fougue de son romantisme. En toutes choses, il le consultait. D'Aurevilly avait réellement ensorcelé cet esprit docile, cette ame faible, ce cœur excellent. Toutefois, comme la pénétrante mainmise de Barbey ne s'est point répercutée en productions littéraires chez Trebutien et ne s'est pas fait jour en des œuvres durables, il ne peut en être question ici.

Autrement profonde et féconde fut, littérairement, l'influence de l'auteur de Léa et ^'Amaklée sur Maurice de Guérin. Sainte-Beuve, bien à contre-cœnir et avec nombre de sous-entendus ou de réserves, a du l'avouer. « Quand il (Guérin) était au plus bas de ses low spirits, — dit le critique des Lundis, — combien de fois Barbey d'Aurevilly surtout n'eut-il pas à le remonter, à faire résonner à son oreille la voix secrète de son démon ! Aucun de ceux qui connaissent ce drôle de corps, cet homme d'esprit infecté de mauvais goût, ne saurait prétendre que son influence puisse être bonne, à la longue, pour personne; mais re/atiueînent, et pour un temps très court, Barbey dut être utile à Guérin » (1). Malgré les réticences et les coups d'épingle de Sainte- Beuve, on devine dans cette page une partie de la vérité. Il est certain que d'Aurevilly eut une grande et décisive action sur le génie de Maurice de Guérin, alors que fatigué, découragé, pressentant une mort prochaine, le pauvre poète s'ensevelissait déjà lui-même dans le lin-

(1) Sai.nte-Bkl VE, Causeries du lundi, loiiie XV, p. 32.

19