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puissance d'exalter la vie et d'élargir les battements du cœur». (1) Et il insiste sur ce qui fait le vrai poète : l'inspiration, « l'inspiration rebelle », la '< capricieuse » qui ne se livre qu'à ses heures. Or l'inspiration est nécessaire aux poèmes en prose, aux « Rythmes oubliés », autant qu a la poésie en vers.

C'est également l'inspiration, secondée par une obser- vation profonde et vaste, qui fait le romancier. La théorie de Barbey d'Aurevilly est, ici, plus hardie encore. Ce qu'il reproche à George Sand, à Jules Sandeau, à Octave Feuillet, aux Concourt, aux romantiques comme aux réalistes, c'est de ne pas écouter la voix de leur cœur, source de vérité supérieure et quasi divine. L'in- vention fantaisiste des premiers ne suffit pas plus que l'observation précise des seconds : elles sont impuis- santes, l'une et l'autre, à créer la vie. L'une produit des êtres hors nature ; l'autre enfante des êtres sans souffle. Or, de l'àme seule sort la vie. Quiconque ne va pas puiser à cette source, toujours renouvelée et toujours féconde, est condamné aux stériles fictions. « Ce livre sans entrailles », dit d'Aurevilly de V Assommoir, pour le stigmatiser d'un mot. Et, à propos des Misérables, il écrit: «Les nuances, nécessairesà la vie, M. Victor Hugo, ce peintre en éblouissements, ne les connaît pas. Il faut plus que de la couleur pour qu'un homme vive » (2). En résumé, ni romantisme à outrance dans la forme, ni réaUsme excessif dans le fond, voilà l'esthétique roma- nesque de Barbey d'Aurevilly.

11 n'est pas jusque dans sa critique où il n'ait pris soin de noter les principaux points de sa doctrine littéraire.

(1) Les Poètes (Amyot, 1862). Préface, p. HI.

(2) Les Misérables, de M. Victor Hugo (Paris, 1862), p. 41.