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paysan Tainnebouy, continue : « Il y avait hier au mar- ché de Créance, dans le cabaret où j'étais, justement un de ces misérables bergers, la teigne du pays, qui s'en vont en se louant à tous les maîtres. 11 était accroupi dans les cendres de l'âtre et faisait chauffer un godet de cidre doux pendant que je finissais un marché avec un herbager de Carente (Carentan). Je venions de nous taper dans la main, quand mon acheteur me dit qu'il avait besoin de quelqu'un pour conduire ses bœufs à Coutances ; et c'est alors que le berger, qui s'acagnardait et buvait au bord de l'âtre, se proposa. « Qui es-tu, toi, pour que je te confie mes bêtes? — fît l'herbager. — Si maître Tainnebouy te connaît et répond pour toi, je ne demande pas mieux que de te prendre. Répondez-vous du gars, maître Louis? » — « Ma fé, — dis-je à l'herba- ger, — prenez-le si vous v'iez, mais j'm'en lave les mains comme Ponce-Pilate ; j'me soucie pas d'encourir des reproches s'il arrivait quéque malencontreàvos bestiaux. Qui cautionne paye, dit le proverbe, et je ne cautionne point qui je ne connais pas » (1). On ne peut parler plus simplement, ni avec plus de relief, la langue de son pays. C'est par l'emploi du patois cotentinais que d'Aurevilly s'est surtout révélé Normand « du faîte à la base ». Il n'est pas une page de V Ensorcelée (\m ne contienne, — comme il dit, — « un mot, un tour, une étrangeté, une incorrection qui sente le dialecte et les âpres habitudes de sa pro- vince », et qui ne témoigne de « courage quand il s'agit dé risquer à propos un mot patois » (2). Maître Tain- nebouy s'exprime, en son langage ordinaire, comme les paysans du Cotentin. Il dit * quant et vous » pour : avec

(1) L'Ensorcelée, p. 48 (éd. Lemerre).

(2) Les Poêles, p. 85 et 86 (éd. Amyot, 1862).