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miraculeusement préservée du désastre où l'eussent engloutie à jamais et sans remède les désordres psychiques de sa vingtième année. Il s'est sauvé lui-même par une volonté persévérante et active d'échapper au naufrage ; et, plus encore que sa volonté, « la voix du sang » l'a libéré des agitations sans issue et des exaltations morbides au sein desquelles son robuste tempérament menaçait de s'étioler. Il s'est évadé, vers la trentaine, des séduisantes et trompeuses demeures du romantisme aux mirages sans lendemain, pour se réfu- gier dans la maison de ses pères, qu'il avait délaissée aux heures folles d'une jeunesse ivre de liberté. Là, enfin, il a établi pour toujours ses pénates sur des assises qu'il croyait inébranlables : l'Aristocratie, le Catholi- cisme, la Normandie. Ce triple culte de l'ancienne société, de la religion traditionnelle et du sol natal l'a guéri, sinon totalement, du moins d'une manière bien sensible, de « la maladie du siècle ». Dès lors, son romantisme n'a plus été qu'un romantisme de façade, d'apparat et de « magnificence » : il n'en est pas devenu plus impersonnel. En outre, à côté de ce romantisme empa- naché, si original, s'est constituée et formée peu à peu, au fond de l'âme de Barbey d'Aurevilly, une sorte de réalisme plus original encore et plus précieux. Par ses tendances aristocratiques, catholiques et terriennes, l'apologiste des Prophètes du Passé plonge en pleine vie réelle. Cette vie, c'est sans doute la vie d'autrefois, une vie qui ressemble singulièrement à la mort : mais ce n'est pas un rêve sans fondement, — comme les fumeuses conceptions du romantisme, — puisque ce fut jadis une réalité solide et durable.

Il y a plus. L'unité de caractère, de conduite, d'inspi- ration, est chose noble et rare. Par là, l'auteur de VEn-