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L’ÎLE D’ANTICOSTI

neuses, tous par l’inanition. Les vivres avaient fini par manquer complètement, Alors on eut recours aux expédients ; tout y passa, jusqu’aux souliers des morts que l’on faisait bouillir dans de la neige, puis griller sur la braise, et quand cette dernière ressource manqua, on se rejeta sur les culottes de peau. Il n’en restait plus qu’une, lorsque M. Volant était arrivé en sauveur, et devant ces inénarrables misères, ce dernier comprit toutes les précautions dont il fallait user. Des ordres sévères furent donnés pour qu’on ne distribuât que peu de nourriture à la fois à ces estomacs qui en avaient perdu l’habitude, mais, malgré cela, l’un des survivants, un breton nommé Tenguy, mourut subitement en avalant un verre d’eau-de-vie, et la joie fit perdre la raison à Tourillet, un autre de ses camarades d’infortune. Quant aux deux autres, Baudet et Bonau, tous deux originaires de l’île de Rhé, ils se mirent à enfler par tout le corps, et la chaloupe de M. Volant fut changée en infirmerie, pendant qu’à terre on s’occupait à donner la sépulture aux vingt-et-un cadavres qui indiquaient l’endroit où la première escouade des matelots de la Renommée avait passé son dernier hiver.

« Une modeste croix indiqua le lieu où ils avaient souffert, où ils s’étaient résignés et où le sacrifice avait été consumé, puis on reprit la mer, côtoyant le rivage à distance rapprochée et remontant