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EN RACONTANT

busards. J’avais déjà entendu dire que les caïmans traversent quelquefois d’un marais à l’autre ; mais il ne me vint pas à l’idée que celui-ci, ayant toute la mine d’être défunt, était en promenade.

Je m’approchai davantage et le remuai du bout de mon fusil ; il fit un mouvement, et je me reculai en faisant un bond, croyant que, dans ce cas, la prudence valait mieux que la valeur. Le caïman se tourna vers moi la gueule toute grande ouverte, et produisit un sifflement semblable à celui de l’oie, mais bien plus vibrant. Je pensai malgré moi à ces vers du poète :

« Le dragon, élancé de sa grotte profonde,
S’allonge, et de ses yeux dardant des éclairs,
D’un sifflement terrible épouvante les airs. »

Je me plaçai à une distance de dix pas à peu près de l’animal, j’ajustai mon fusil et lui envoyai dans la tête toute la charge de gros plomb. Il se mit à battre l’air de son énorme queue avec une rapidité effrayante ; mais je vis qu’il était blessé mortellement et que son agonie ne serait pas longue. J’appelai mon guide et, tous deux, nous nous livrâmes à une danse guerrière autour de notre prise. Lorsque le caïman fut bien mort, mon homme lui ouvrit la gueule et y trouva une quantité de goujons ou petits poissons. Ceci expliquait la présence du reptile, ainsi que celle des busards,