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NUIT MARINE

A Louis dé la Salle.

La nuit s'est faite sur la terre, et lentement a envahi l’immensité des eaux. La dernière lueur agonise au bord extrême de l’horizon, où des vapeurs sombres confondent la mer et le ciel. Tous les contours s’effacent et meurent. Rien ne vit plus que les voix des choses, plus pénétrantes, plus révélatrices, pleines d’accents inconnus dans l’obscurité infinie. La brise de mer se lève et souffle à travers champs l’odeur et le bruit des flots montant la grève. Les peupliers qui, pendant le jour, nous voilaient la mer du rideau frémissant de leurs feuilles, chantent doucement au vent du soir. Parfois une brise plus forte passe et mêle leur voix, qui s’élève alors plus triste, au murmure incessant des flots, comme une angoisse aiguë domine par moments une mélancolie sans trêve. De la terre et de la mer monte une plainte douce, une lamentation monotone et continue. Une vague horreur plane comme une brume sur les bois et les eaux. C’est le mystère de toujours qui rôde plus libre et plus vaste à cette heure funèbre. Tout rêve de douleurs immortelles, tout se perd en un sourd désespoir, en un ardent et immobile délire.