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tant les partisans de la liberté feraient preuve d’inconséquence, s’ils espéraient instaurer leur idéal en l’imposant par la force.

Mais si la force est incapable d’assurer la création d’un ordre de choses dont la liberté doit être le seul moteur, la patience, la résignation sont de bien peu de poids auprès des exploiteurs pour les amener à faire abandon de leurs privilèges.

Tendre la joue droite après avoir reçu un soufflet sur la gauche n’est pas à la portée de tous les caractères et tempéraments. Puis, pour un agresseur que cette humilité pourra amender, combien d’autres en abuseraient pour redoubler. Et ce qui serait efficace entre deux individus n’a plus aucune valeur quand celui qui donne le soufflet, est à deux cents lieues de celui qui le reçoit, et où tout ne s’accomplit que par une suite de ricochets et d’intermédiaires, comme sont organisées nos sociétés.

Les peuplades les plus douces qui ont reçu les Européens à bras ouverts n’ont pas tardé à être asservies et massacrées tout aussi bien que si elles leur eussent montré les dents. Celles qui ont résisté, ont pu être réduites, elles ont eu l’avantage de retarder leur asservissement et leur sort n’en a pas été pire. La force mène le monde, et si le raisonnement nous apprend que nous ne devons pas en abuser pour opprimer les autres, il nous apprend aussi qu’elle peut nous être utile pour repousser les tentatives d’oppression, briser l’esclavage que l’on a pu nous imposer dans des périodes de faiblesse physique ou intellectuelle.

Ce n’est que par des révoltes multipliées que les esclaves, depuis l’antiquité jusqu’à la guerre de Sécession, sont parvenus à transformer leur situation.