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teur était enchanté ; en nous quittant il essaya d’expliquer à ses amis la vertu d’un t remplacé par un c et fut amené à conclure qu’ils n’étaient « pas intelligents ». Le mot table, comme tous les noms, suggère l’idée de l’objet qu’il nomme, mais ce mot n’est qu’une étiquette dont les sons ne peignent en rien cet objet ; s’il était remplacé par un chiffre et qu’il fût admis que le n° 25 désigne une table, il n’y aurait rien de perdu pour l’expression : le n° 25 suggérerait l’idée d’une surface plane supportée par trois ou quatre pieds ; ou bien s’il était convenu que le mot table désigne un encrier, le mot table suggérerait l’idée d’un récipient d’une certaine forme contenant un liquide dans lequel on trempe sa plume pour écrire. La même erreur a été commise pour les vers, comme nous le verrons plus loin. Le plus sûr moyen d’éviter cet écueil, de ne pas croire que, parce qu’un vers contient une idée, il la peint, était d’établir des principes généraux d’après des notions étrangères à la versification, et de n’introduire les vers que comme exemples destinés à illustrer la théorie et à la confirmer. Il était nécessaire aussi de citer ces exemples en grand nombre et en les tirant d’auteurs très divers, sans quoi nous risquions de décrire la poétique de tel poète et nous ne pouvions pas arriver à des conclusions générales.

Dans l’étude sur l’harmonie du vers français le même danger n’était pas à craindre, aussi n’avons-nous pas eu recours pour ce chapitre à cette méthode détournée, que l’on pourrait appeler prophylactique.