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qu’eux-mêmes leur désigneraient. Mais une fois en mer, les capitaines des vaisseaux ne se préoccupèrent plus des ordres du roi, et, soit par haine, soit par cupidité, ils réclamèrent des sommes bien supérieures aux prix de transport convenu. En cas de refus, ils promenaient ces malheureux à travers l’Océan jusqu’à ce qu’ils eussent épuisé leurs provisions et fussent obligés d’en acheter auprès des capitaines, qui, naturellement, ne leur en livraient que contre de fortes sommes d’argent. Il y en eut qui furent réduits à donner leurs vêtements en échange d’un morceau de pain. Des femmes et des jeunes filles furent violées par ces bandits sous les yeux dé leurs maris et de leurs parents. Plusieurs capitaines jetèrent les pauvres Juifs sur des côtes désertes ou inhospitalières, où ils devinrent la proie de la faim et du désespoir, ou furent emmenés comme esclaves par des Maures.

Un témoin oculaire, le cabaliste Juda ben Jacob Hayyat, rapporte les souffrances que lui et ses compagnons eurent à endurer sur un de ces vaisseaux portugais. Embarqué avec sa femme et deux cent cinquante autres proscrits de tout âge, ils partirent de Lisbonne en hiver (au commencement de 1493) et errèrent pendant quatre mois sur les flots, parce que la peste sévissait parmi eux et qu’aucun port ne voulait les recevoir. Naturellement, les vivres devinrent de plus en plus rares. Par surcroît de malheur, le navire fut capturé par des corsaires de la Biscaye, pillé et conduit dans le port espagnol de Malaga. Là, on ne permit aux Juifs ni de descendre à terre, ai de repartir, ni de se procurer des vivres. Le clergé et les autorités espéraient que la faim les forcerait à accepter le baptême. Et de fait, une centaine d’entre eux, à demi morts d’épuisement, se convertirent. De ceux qui restèrent inébranlables dans leurs croyances, cinquante environ, vieillards, femmes et enfants, périrent de faim, et, parmi eux, la femme de Hayyat. À la fin, émus de pitié devant tant de souffrances, les habitants de Malaga apportèrent aux Juifs du pain et de l’eau.

Lorsque, au bout de deux mois, les survivants furent enfin autorisés à se diriger vers la coite d’Afrique, de nouveaux maux les atteignirent. Accompagnés partout de la peste, ils ne purent entrer dans aucune ville et durent camper en plein champ. Hayyat fut jeté par un musulman dans un cachot plein de serpents