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Bien tristes furent les conséquences de ces luttes intestines, dont les maux venaient s’ajouter aux résultats néfastes des lois avilissantes que la papauté inventait contre les Juifs. Au lieu de l’humeur joyeuse, de l’activité intellectuelle et de la gaieté robuste qui avaient régné jusque-là parmi les Juifs et produit de si beaux fruits, les figures et les esprits étaient assombris par des pensées tristes et douloureuses, même dans les communautés de l’Espagne et de la Provence. Les poètes à l’esprit vif et pétillant s’étaient tus subitement, comme si le souffle glacial du malheur avait figé soudainement le sang dans leurs veines. C’est qu’on n’est guère disposé à chanter quand on est marqué du signe de l’infamie ! Aussi la poésie néo-hébraïque, qui avait jeté tant d’éclat pendant les trois derniers siècles, disparut-elle complètement. Ses dernières productions furent les satires et les épigrammes que maïmonistes et antimaïmonistes avaient dirigées les uns contre les autres. Peu à peu on cessa de s’attaquer par des épigrammes, filles gracieuses de l’esprit, pour se combattre par des argumentations lourdes et filandreuses.

Les derniers représentants de la poésie néo-hébraïque qui appartiennent encore à l’époque de Maïmonide sont : Juda Al-Harizi, partisan zélé mais traducteur superficiel de Maïmonide, Joseph ben Sabara et Juda ben Sabbataï. Par une rencontre fortuite, tous les trois créèrent simultanément le roman satirique, auquel ils donnèrent pour cadre une suite de métamorphoses, et qui offrait comme fond une phraséologie redondante. On sentait l’artifice et la recherche laborieuse dans l’esprit qu’ils essayaient de mettre dans leurs œuvres, composées sans art. Dans son roman Takkemoni, le poète Al-Harizi (1190-1240) présente Héber le Kénite sous divers déguisements et le fait converser avec l’auteur tantôt en prose rimée, tantôt en vers, où le grave se mêle au plaisant ; il y ajoute un certain nombre d’épisodes qui se rattachent plus ou moins au sujet principal. Le roman des Délices (Schasckouim) de Joseph ben Sabara (probablement médecin à Barcelone) était taillé sur le même modèle. Enfin, le troisième poète, Juda ben Isaac ben Sabbataï, originaire également de Barcelone, était compté par Al-Harizi lui-même parmi les auteurs les plus habiles ; mais ses œuvres ne méritent pas une appréciation