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j’ai peur que sa pathologie ne reprenne Mme Sixtine Magne pour sujet de démonstration : nous rentrons. Tout le monde a cédé au plaisir rare de se coucher de bonne heure. Seul, Fortier nous attend, pour me conduire à ma chambre. Il paraît qu’un ami de la comtesse s’est épris de la Revue spéculative et va l’épouser sous le régime dotal, en lui reconnaissant comme apport cinquante mille francs qu’elle n’a pas. Ce Fortier a la manie de proférer d’incompréhensibles métaphores.— « Quelqu’un met cinquante mille francs dans la Revue ? — Précisément.— Et vous devenez ? — Rédacteur en chef au lieu de directeur.— Et le directeur ? — Pseudonyme. » Je connais Fortier, il ne se fâchera pas : « Avouez donc que c’est la comtesse. » Il sourit et le voilà galopant dans les prés fanés du dithyrambe : — « Elle est charmante, généreuse, dévouée à l’art, sans ambition personnelle.— Que d’être aimée ? — Cela, je m’en charge. » Cet abandon intéresse ma native curiosité et avec de petites contradictions poudrées d’un peu de scepticisme, je l’excite au point qu’il me conte tout. Il lui fut présenté par Malaval que sa grâce de chien tondu fit le Triboulet de la comtesse. C’était une mauvaise entrée, mais Fortier montra de l’esprit (à ce qu’il prétend) : s’ensuivirent les agaceries, les sournois clins d’yeux, l’habitude de se quereller, une absence, quelques lettres où papillonna une tendresse légère. Au retour, elle était seule : sans phrases, les bras s’entr’ouvrent, les voilà palpitants et amants. Fortier est incapable d’inventer et peut-être de mentir : il a même l’air de trouver cela naturel et un peu