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Mais Mme de Noailles, en un de ses plus beaux poèmes : Constantinople, a eu, elle-même, l’intuition que son exil était le motif et la raison de son chant, et que, si elle n’avait pas été transplantée sous notre ciel, elle n’aurait pas chanté, parce qu’elle n’aurait pas senti l’inquiétude d’une autre lumière.

J’étais faite pour vivre en ces voiles de soie
Et sous ces colliers verts,
Qui serrent faiblement, qui couvrent et qui noient
Des bras toujours ouverts.

La douce perfidie et la ruse subtile
Auraient conduit mes jeux
Dans les jardins secrets où l’ardeur juvénile
Jette un soupir joyeux.

On n’aurait jamais su ma peine ou mon délire,
Je n’aurais pas chanté,
J’aurais tenu sur moi comme une grande lyre
Les soleils de l’été ;

Peut-être que ma longue et profonde tristesse,
Qui va priant, criant.