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quiété des mêmes inquiétudes que la foule ? Peut-être, car il ne faut pas oublier qu’un homme, même supérieur, s’il demande toujours les faveurs du peuple, finit par penser en même temps que le peuple. Le triomphe de M. Barrès, c’est qu’en écrivant un article électoral, il y met du talent et des idées et que celui-là même qui méprise le but qu’il vise ne méprise pas le moyen qu’il emploie.

Parmi les études annoncées dans le prospectus des Taches d’encre, un titre frappe : Valets de Gloire : le Nouveau Moyen de parvenir ; je ne sais si ce pamphlet fut écrit ; il aurait dû l’être, car M. Barrès, de tous les hommes arrivés (ou qui arriveront), est celui qui ressemble le moins à un parvenu. Nul n’a passé plus simplement, avec plus d’aisance, de l’ombre à la pénombre et de la pénombre à la lumière. Il a le sens inné de l’aristocratisme et ce sens lui a quelquefois servi de critère pour juger tout un mouvement littéraire : « … les dernières recrues du naturalisme, ces plats phraseurs, ces fils grossiers de paysans obtus, cerveaux pétris par des siècles de roture et qui ne savent ni penser ni sourire…. » M. Barrès sait penser et il sait écrire ; et sourire : le sourire est même son attitude familière et peut-être le secret de sa séduction.