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par faire son propre bonheur, — boutade qu’il faudrait malaxer avec patience pour en extraire une pensée définitive ; enfin, ils connurent ainsi les premiers éléments de l’idéalisme sentimental : M. Barrès a certainement dégrossi bien des intelligences. D’autres disciples allèrent plus loin dans la connaissance de leur maître et ils surent que pour arriver à la vie bienheureuse — qui comme dans Sénèque comporte beaucoup d’or et beaucoup de pourpre — il faut plaire, et que pour plaire il faut avoir l’air de faire coïncider sa pensée avec l’émotion générale. Ils comprirent qu’il faut à un certain moment être boulangiste, et socialiste à un autre ; qu’on rédige un roman anarchiste à l’heure où l’anarchisme est respiré avec bienveillance, et une comédie parlementaire quand le Parlement compromis est le sujet des conversations au déjeuner des gens simples : ainsi l’on devient soi-même un sujet de conversation ; ainsi l’on arrive à hanter doucement l’esprit de ceux-là même que l’on bafoue et que l’on méprise.

Cette coïncidence, dont M. Barrès ne s’est jamais abstenu, est-elle vraiment méthodique, ou faut-il l’attribuer à une très vive mobilité d’esprit ? Est-il naturel qu’un homme supérieur soit toujours in-