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tation, par amour pour un poète cher ? Et n’est-ce point galamment ingénu et brave ? Oui, à moins qu’il ne faille voir là (c’est plus prudent) la précoce ironie d’un jeune homme qui savait son destin et que les gens de son génie meurent dans un fauteuil au Sénat, un jour qu’ils reviennent de l’Académie. Les existences mouvementées de l’ambitieux s’achèvent d’ordinaire parmi la paix des sinécures ; tout l’intervalle, quel qu’il ait pu être, refleurit dans les potiches, en fleurs un peu amères. Avoir désiré beaucoup, n’avoir rien eu, avoir eu tout, cela se rejoint un jour, aux heures crépusculaires ; cela fait des bouquets en l’air et sur les murs ; cela s’appelle le jardin des souvenirs. D’ici que M. Barrès cultive ce jardin-là, en quelque beau château du temps du roi Stanislas, il faut souhaiter qu’il ait eu « tout », car cela serait vraiment dommage qu’une vie aussi logique s’achevât en fût brisé. Ensuite l’exemple serait mauvais : toute une génération que M. Barrès inclina vers le rêve d’agir se coucherait, déçue, dans l’attitude de soldats qui ne voient plus sur la colline le profil du cavalier impérieux, qui est leur maître.

Beaucoup de jeunes gens ont cru en M. Barrès ; et quelques-uns, encore, qui sont moins jeunes que