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collaboration avec Gargantua. Ils sont scolastiques et gigantesques, eucharistiques et scatalogiques, idylliques et blasphématoires. Aucun chrétien ne peut les accepter, mais aucun athée ne peut s’en réjouir. Quand il insulte un saint, c’est pour sa douceur, ou pour l’innocence de sa charité, ou la pauvreté de sa littérature ; ce qu’il appelle, on ne sait pourquoi, « le catinisme de la piété », ce sont les grâces dévouées et souriantes de François de Sales ; les prêtres simples, braves gens malfaçonnés par la triste éducation sulpicienne, ce sont « les bestiaux consacrés », « les vendeurs de contremarques célestes », les préposés au « bachot de l’Eucharistie », — blasphèmes effroyables, puisqu’ils vont jusqu’à tourner en dérision au moins deux des sept sacrements de l’Église ! Mais il convient à un prophète de se donner des immunités : il se permet le blasphème, mais seulement par excès de dilection. Ainsi sainte Thérèse blasphéma une fois quand elle accepta la damnation comme rançon de son amour. Les blasphèmes de M. Bloy sont d’ailleurs d’une beauté toute baudelairienne, et il dit lui-même : « Qui sait, après tout, si la forme la plus active de l’adoration n’est pas le blasphème par amour, qui serait la prière de l’abandonné ? »