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arrête et les fixe douloureusement ; mais il y a une joie dans la vue de la beauté, qui, à certaines heures de la vie, peut dominer les autres sensations et nous préparer à l’état de grâce nécessaire à la communion parfaite. C’est le mysticisme dans sa fraîcheur la plus ingénue et dans son amour le plus éloquent. Ainsi la ballade : L’ombre comme un parfum s’exhale des montagnes. Je veux déclarer que cet hymne est beau comme un des beaux chants de Lamartine :


Laisse nager le ciel entier dans tes yeux sombres et mêle ton silence à l’ombre de la terre : si ta vie ne fait pas une ombre sur son ombre, tes yeux et ta rosée sont les miroirs des sphères.

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À l’espalier les nuits aux branches invisibles, vois briller ces fleurs d’or, espoir de notre vie, vois scintiller sur nous — scels d’or des vies futures — nos étoiles visibles aux arbres de la nuit.

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Contemple, sois ta chose, laisse penser tes sens, éprends-toi de toi-même épars dans cette vie. Laisse ordonner le ciel à tes yeux, sans comprendre, et crée de ton silence la musique des nuits.


La rime manque, parfois même l’assonance ; on n’y prend garde. C’est, renouvelée par de belles images inédites, la grande poésie romantique. Mais, sans être unique, une émotion aussi profonde est