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prie, frères, de marcher avec assurance et de cracher avec mépris. Puisque l’infini m’a élu, je veux que vous me méprisiez : cela sera ma seule récompense terrestre. Je veux paraître un Labre intellectuel. Vous marcherez sur moi et vous ne me verrez pas : je suis si grand que je puis, comme une vermine, me cacher dans la poussière. Je suis grand, je suis fort, je suis beau, je suis pur, je suis vrai parce que je suis un atome imprégné de la grandeur, de la force, de la beauté, de la pureté et de la vérité de Dieu. Quand je parle, on ne m’écoute pas, parce que ma voix est si puissante qu’on l’entend sans l’écouter : on n’écoute pas le tonnerre. Quand je passe, on ne me voit pas, car on ne voit pas le vent et je passe au milieu des galères mortes comme une triomphante barque dont les voiles sont gonflées par le souffle des anges : elle glisse comme un fantôme divin, au milieu des galères mortes, et les rameurs s’agitent, mais elle a fui, si rapide et si tumultueuse qu’ils s’arrêtent en se disant l’un à l’autre : quelque chose vient de passer pendant que nous dormions.

Je passe et on ne me voit pas, je parle et on ne m’écoute pas. Voit-on Dieu ? Écoute-t-on Dieu ?