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Observateurs désintéressés, sans croyances, sans opinions sociales, ils vont dans la vie, la poitrine bravement tournée vers la lame, et ils notent, après le choc, leur sensation. Ils se font ainsi un répertoire authentique d’attestations dont ils ont éprouvé sur eux-mêmes la vérité immédiate. Que ces fiches soient rangées dans leur cerveau ou dans des boîtes, c’est là qu’ils puisent s’ils ont à dire, ressentie par un de leurs personnages, une impression analogue à celle qu’ils éprouvèrent. Aussi ils écoutaient, attentifs aux involontaires confidences, aux cris de nature, prompts à saisir la valeur significative d’un sourire, d’un regard, d’un geste. Voulant reproduire en son élémentaire véracité la langue des enfants, ils s’astreignirent à passer sur un banc des Tuileries d’immobiles après-midi, figés en un feint sommeil, pour ne pas effaroucher la piaillerie des moineaux. L’un comme l’autre, ils avaient la passion d’écouter aux portes de la vie ; ils cherchaient des secrets comme des gens cherchent de minuscules coquillages dans le sable des dunes ; le survivant garda jusqu’à sa dernière heure ce besoin de savoir ce qui se passe, de regarder par la fenêtre, de soulever les stores et les rideaux. Tout ce qui ne put logi-