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dans la même forêt, viornes et frênes, voilà tout ce que l’on peut affirmer : ils ont puisé à la même terre, au même vent, à la même pluie, mais la différence essentielle est celle que j’ai dite : les deux drames sont deux beaux arbres tragiques.

La Lépreuse est bien le développement naturel d’un chant populaire : tout ce qui est contenu dans le thème apparaît à son tour, sans illogisme, sans effort. Cela a l’air d’être né ainsi, tout fait, un soir, sur des lèvres, près du cimetière et de l’église d’un village de Bretagne, parmi l’odeur âcre des ajoncs écrasés, au son des cloches tristes, sous les yeux surpris des filles aux coiffes blanches. Tout le long de la tragédie l’idée est portée par le rythme comme selon une danse où les coups de sabots font des pauses douloureuses. Il y a du génie là-dedans. Le troisième acte devient admirable, lorsque, connaissant son mal et son sort, le lépreux attend dans la maison de son père le cortège funèbre qui va le conduire à la maison des morts, et l’impression finale est qu’on vient de jouir d’une œuvre entièrement originale et d’une parfaite harmonie.

Le vers employé là est très simple, très souple, inégal d’étendue et merveilleusement rythmé : c’est