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Il faut encore comprendre qu’en art, tout ce qui n’est pas nécessaire est inutile ; et tout ce qui est inutile est mauvais. Les Soliloques du Pauvre exigeaient peut-être un peu d’argot, celui qui, familier à tous, est sur la limite de la vraie langue ; pourquoi en avoir rendu la lecture si ardue à qui n’a pas fréquenté les milieux particuliers où il semble que l’on parle pour n’être pas compris ? Ensuite, l’argot est difficile à manier ; Jehan Rictus, malgré son abondance, évolue assez difficilement parmi les écueils de ce vocabulaire. Beaucoup des mots qu’il emploie ne sont peut-être plus en usage, car l’argot, malgré ce qu’il retient de permanent, se transforme avec tant de rapidité que d’une année à l’autre les choses les plus usuelles ont changé de nom. Autrefois le grand mot des voleurs (et des autres), l’argent, ne gardait que très peu de temps son manteau argotique ; constamment rhabillé, il échappait à la connaissance immédiate des non-initiés. Dès que le nom argotique de l’argent avait passé dans le peuple les voleurs en imaginaient un autre. Il paraît qu’il n’y a plus de jargon ou argot spécial aux voleurs ; c’est-à-dire que son domaine se serait étendu et aurait pénétré jusque dans les ateliers et les