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pur sensualisme, incliner un autre lecteur à des vues métaphysiques et un autre à des pensées seulement tristes. Laissons à ceux que nous sollicitons le plaisir d’une collaboration ingénue.

Pourtant nous ferons toujours, et M. Schwob fera toujours des préfaces, mais, des siennes, qui en valent la peine, on ordonnera des livres, à mesure, dans le goût de Spicilège, et nous ne serons pas distraits par le devoir de changer à chaque chapitre la robe de notre poupée.

Elle est d’ailleurs importante, cette préface de Monelle, pour la psychologie de M. Schwob et pour la psychologie générale d’une période ; j’y vois notées en phrases décisives et prophétiques presque toutes les notions qui sont demeurées communes aux intellectuels d’une génération : le goût d’une morale surtout esthétique, d’une vie sentie dans le résumé d’un moment, d’un infini qui se peut encercler dans l’espace de l’heure présente, d’une liberté insoucieuse de son but. L’humanité est pareille à un filet nerveux, c’est-à-dire discontinu, formé d’une série de petites étoiles dont les chevelures, dans un mouvement incessant, touchent les chevelures voisines, au hasard pendant le sommeil et, dans la veille, selon des volontés, dont le caprice