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ticisme sans Dieu et, entre ces deux extrêmes, plusieurs nuances où les intelligences jouent à sauter de branche en branche, comme les oiseaux d’une forêt.

Le mysticisme qui chanta récemment dans la littérature et dans l’art était le concert de tous ces oiseaux. M. Charbonnel s’en est fait le critique exact et ironique, et il a très bien senti courir et murmurer sous la mélancolie dominante, un peu affligée, un second air plus vif qui disait les joies de l’idéalisme, de la liberté retrouvée, de l’idée reconquise. Il ne lui a pas échappé que le mysticisme moderne se sert de la religion, mais ne la sert pas ; que la théologie n’a plus de servantes, qu’elle balaie elle-même ses sanctuaires, et que, sans le vouloir expressément mais par son attitude, elle en défend l’entrée à tout ce qui est intelligence, originalité, poésie, art, libération. Les écrivains naturellement portés vers le catholicisme ont dû s’éloigner presque tous : leur mysticisme, s’il boit encore aux sources pures de Denys et de Hugues, a renoncé à s’abreuver au lac devenu le marécage de toutes les bêtes amphibies. Où est le temps où Gerbert était élu pape parce qu’il était le plus grand génie de l’Europe ?