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même, la personnification en un seul être de tout ce qu’il y a de beau, de vrai et de bon dans la créature humaine. Et c’est peut-être pour cela qu’elle est si complexe et que l’on peut voir en elle, selon le point de vue auquel on se place, l’image vivante de la Beauté, de la Science, de la Sainteté.

Pour arriver à la connaissance et à la possession de Dieu, selon l’idée chrétienne, la seule voie est la sainteté selon la philosophie scolastique, c’est la science, résumée en la science des sciences, la théologie ; selon Platon, c’est la contemplation de la beauté. Dante en prenant Béatrice pour guide à travers la vie comme à travers son poème, réunit donc d’abord en elle les trois moyens naturels et surnaturels qui sont offerts à l’homme pour parvenir en la présence « de la divine Puissance, de la suprême Sagesse et du primordial Amour[1]. »

Virgile qui est le guide visible du poète dans l’Enfer et dans le Purgatoire n’est que le délégué de Béatrice, celui auquel la « femme divine » a confié le protégé sur qui elle veille et qu’elle viendra recevoir elle-même à la porte du Paradis[2].

La Béatrice représentant la sainteté ou la science a été le sujet de bien des études et de bien des commentaires, mais je crois montrer cette précieuse figure sous un jour nouveau en examinant surtout en elle son troisième attribut, la beauté. En plusieurs endroits de la Divine Comédie on trouve des traces des idées platoniciennes, plus ou moins modifiées par leur voyage à travers les œuvres des Pères de l’Église. Il est probable que c’est surtout dans Boèce, auquel il a emprunté plus d’un trait, dans saint Augustin et dans saint Bonaventure que Dante s’est familiarisé avec certaines théories du philosophe grec, avec celle à laquelle nous faisons allusion et qui est exposée dans le Banquet. La voici, résumée aussi brièvement que possible, d’après l’admirable traduction de Cousin[3]

« Celui qui veut s’y prendre comme il convient doit, après

  1. Inferno, III, 5.
  2. Inf. II, 52-126.
  3. Platon : Œuvres complètes trad. par M. Cousin. Le Banquet, passim.