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Et il mangea lentement ce mets simple, sans songer à en apprécier les qualités, tout occupé du milieu où le hasard l’avait jeté, observant cette famille, dont il devinait les douleurs, la rongeante plaie. Ses yeux, habitués à la vue de toutes les élégances, de toutes les richesses des somptueuses demeures, trouvaient un charme puissant et inédit à se reposer sur ce visage candide de Michelle, à détailler la perfection de cette nature simple et droite, où le convenu, l’appris, l’imité, n’avaient pas imprimé sa griffe. Et il plaçait près de lui, par la pensée, cette naïve enfant dans la haute et superbe salle à manger de son château de Rantzein. Il trouvait un charme infini à l’écouter, à voir ses neuves impressions de non blasée.

La petite avait très faim ; ses dents menues s’imprimaient dans l’épaisse pâle brune des galettes et il avait une envie folle de trouver, lui aussi, ce mets succulent, mais sans pouvoir y parvenir.

« Ah ! Madame, dit-il à la marquise, très sincère, très ému, combien vous êtes bonne d’accueillir ainsi un étranger ! Je ne suis même pas Français.

— Qu’importe, tous les chrétiens sont frères. Je suis allée moi-même fort jeune en votre pays. C’était pendant l’émigration et nous étions attirés, mes parents et moi, à Coblentz, par une alliance assez lointaine entre une de Carigny et un de Walstein. L’almanach de Gotha en fait mention.