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heures. Va prier pour moi, j’ai été éprouvée, si cruellement ! »

Elle retomba sur l’oreiller, les yeux vagues, repartie dans l’ancien temps où la richesse lui procurait toutes ses joies ; sans énergie, sans le rayonnement intérieur qui met en toute peine une consolation, la pauvre femme restait anéantie, et son épreuve à elle était en effet la plus dure, parce qu’elle n’avait pas dans l’âme, ainsi que sa mère et sa fille, la résignation chrétienne.

L’après-midi fut longue, une grande chaleur montait du sable doré des dunes. Rosalie somnolait sur sa chaise basse, son tricot immobile entre les mains ; la vieille douairière promenait un œil éteint sur la cour, aux pavés disjoints, enveloppés d’herbe ; Mme Carlet, qui avait trouvé un roman, à demi dévoré par les rats, le feuilletait, distraite, et Michelle, pieds nus, sa petite robe, relevée sur sa jupe de dessous, arrosait les salades dans les carrés déjà envahis d’ombre.

Soudain, toutes tressaillirent ; la cloche avait vibré énergiquement.

Et presqu’aussitôt la poterne s’ouvrait devant un étranger.

Très respectueux, il s’avança vers la marquise, son chapeau de paille à la main et s’inclinant :

« La marquise de Caragny, sans doute, » dit-il.

Et sur l’inclination sérieuse de la douairière, il reprit :

« Me ferez-vous l’honneur, Madame, de me laisser prendre d’ici une photographie de votre château ? Ce vieux puits au chapiteau couronné de plantes grasses, ce cloître à colonnes sont très remarquables. Je ne serai pas importun, quelques minutes seulement…