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redresse la quille avec mon gouvernail. C’est la grande marée qui nous vaut ça, on va mettre un quart d’heure de plus, ce n’est pas une affaire !

— N’importe, ordonna Mme Carlet, abordons à Dinard, j’aime mieux faire à pied la route jusqu’aux Mouettes que de filer par mer sous Saint-Enogat. »

En effet, on jeta le grappin à la vieille cale ; Lahoul aida ses passagères à sauter à terre, puis :

« Laissez vos bagages, mamzelle, dit-il obligeant, je les porterai ce soir au château.

— Non, non, observa l’arrivante, je suis trempée, j’ai besoin de suite de mes bagages ; prends-les, Michelle. »

L’ordre était inutile, la fillette, rechargée, montait déjà la pente abrupte qui mène en ville. Cet exercice d’ailleurs lui était on ne peut plus salutaire après la transition glaciale de l’air vif du large.

Le crépuscule avait gagné la côte, la haute mer seule gardait la clarté des nuages du couchant. Au bord de la route, les chalets se piquaient de lumières et en passant devant la Roussalka, l’enfant leva les yeux.

Sur la véranda, abritée par une cloison vitrée, une grande lampe voilée d’un immense abat-jour épandait sa lueur autour d’une petite table chargée de tasses et de flacons. Trois personnes se tenaient autour. C’étaient deux hommes et une femme vêtue d’une vaporeuse toilette blanche. Leur causerie semblait joyeuse, ils souriaient gaiement.

Comme les deux voyageuses passaient au ras de la grille, l’un des hommes se leva brusquement, vint sur le perron, et, accoudé à la rampe de granit, il suivit longtemps des yeux la marche falote des deux femmes.