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Il la regarda au fond des yeux :

« Je crains que vous ne vous abusiez, Michelle, et que vous ne vous fassiez des chimères. Soyez absolument sincère, mon enfant. N’ai-je pas toujours été votre confident ? »

Alors, elle saisit la main de son mari sanglotant :

« Oh ! Hans, vous, le plus loyal des hommes, vous ne commettriez pas une lâcheté, j’en suis sûre.

— Non. Je ne commettrai jamais une lâcheté.

— Ni vous ne profiterez de celle des autres ? »

Il tressaillit.

Celle qu’il regardait toujours comme une enfant l’était vraiment moins qu’il ne le pensait ; elle mettait le doigt sur la plaie saignante de son cœur et en écartait les bords pour la rendre plus douloureuse.

Il prit un parti.

« Écoutez-moi, dit-il, et sur votre amour maternel, gardez mon secret. Mieux vaut vous expliquer ce que vous soupçonnez mal que de vous laisser deviner au delà du réel. Je suis en mission ici, en mission politique, mon gouvernement compte sur moi à juste titre, comme sur un sujet fidèle. Mon honneur est d’obéir à mon roi et de servir ma patrie. Le jour où ils me demanderont mon sang, je le donnerai. En attendant, ils ont droit à mon intelligence. Elle leur est acquise et je leur en dois le profit. Vous, ma femme, vous êtes peut-être dans une situation différente des autres Allemandes, mais en vous donnant à moi, vous avez épousé ma patrie, nos enfants sont Allemands, donc toutes vos affections sont allemandes. Ne pensez-vous pas que ces tendresses tangibles et réelles valent bien une abstraction en somme, cet attachement que vous gardez à votre patrie d’origine ? »

Michelle ne répondait toujours pas. Elle sentait de l’irréparable autour d’elle, une impossible solution à son désespoir. Hans reprit :