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Nous descendîmes à la même auberge que la veille :

« Deux bocks ! » dit mon compagnon.

Ils furent apportés et avalés de suite. Alors de Moltke se leva :

« Je vous ai donné vingt pfenigs ; j’ai payé d’avance hier, nous sommes quittes aujourd’hui.

— Mais je vous ai servi de la double bière, explique le cabaretier vertement.

— Je n’ai pas demandé de la double bière, » reprend le général.

Et rendant la main à son cheval, il part au trot allongé.

Moi, un peu honteux, je jetai sans qu’il le vît, quelque menue monnaie à l’aubergiste.

— Ceci prouve un mauvais cœur.

— Non, parfois il est généreux.

— Quand donc ?

— Quand il s’agit d’armement et du sang des soldats. Croiriez-vous que ce guerrier a la passion de la musique, de la musique douce uniquement !

— Toujours l’anomalie.

— Complète, car son principe de guerre est le bombardement à outrance.

— Cet homme m’est antipathique, s’écria Michelle, il déteste la France !

— N’empêche que c’est un génie.

— Après Napoléon.

— Le premier, oui ; mais celui d’aujourd’hui.

— Oh ! je ne le défends pas. Ce que j’aime moi, c’est l’âme de la France, la fille aînée de l’Église, « mein Vaterland[1] » ainsi que vous dites en Prusse. »

  1. Ma mère patrie, littéralement père patrie.