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sacrifice, et au sujet duquel je tiens à dire ici ma pensée. On s’est agité, distrait, désorganisé, dans la salle, de façon à porter, ou peu s’en est fallu, un véritable préjudice à la représentation ; et, en fin de compte, on a supprimé le tableau tout entier.

Au théâtre, on se résigne difficilement à écouter un morceau de musique qui ne soit qu’un portrait de caractère ; on veut que tous les morceaux correspondent à des situations. Le monologue est cependant un élément du drame, et les maîtres, dramatiques ou lyriques, n’ont pas cru qu’il dût être sacrifié ou négligé.

Le trouble qui s’est produit pendant l’air dont je parle, me semble devoir être attribué non pas tant à la valeur du morceau en lui-même qu’à la part beaucoup trop restreinte, selon moi, que les auteurs ont faite à l’autorité du légat. Un personnage de cette importance valait bien qu’on fît de lui le point culminant d’une situation. Or, on ne lui a laissé qu’une importance secondaire qui le ridiculise.

Un grand duo, dans lequel il eût parlé de haut, aurait préparé le débat du synode dans le tableau suivant, et le légat se fût retiré avec dignité, au lieu d’être piteusement congédié par le roi.

L’air du légat n’en est pas moins d’une allure grave et sévère, et M. Boudouresque le disait fort bien.

Le second tableau qui, maintenant, est l’acte troisième tout entier, représente la salle du synode, et s’ouvre par une marche processionnelle d’un caractère majestueux qui accompagne le défilé de la cour et des juges. Alors commence un grand et superbe ensemble : « Toi qui veilles sur l’Angleterre ! », après lequel Henri VIII s’adresse à l’assemblée synodale : « Vous tous qui m’écoutez, gens d’église et de loi ! ». Catherine, très émue, pouvant à peine parler, s’avance vers le roi et le supplie d’avoir pitié d’elle. Ce morceau, dans lequel intervient le chœur, est d’un sentiment des plus vrais et des plus touchants. Devant le dédain cruel du roi pour la pauvre reine, Don Gomez se lève et déclare qu’il prend, comme Espagnol, la défense de celle dont il est le sujet. Henri VIII s’indigne et en appelle à son peuple, « les fils de la noble Angleterre », qui se proclament prêts à accepter les décrets du Ciel, décrets dont l’archevêque de Cantorbéry va être l’organe : « Nous déclarons nul et contraire aux lois l’hymen à nous soumis ! » Catherine se révolte, et, dans un superbe élan de fierté, elle s’écrie : « Peuple, que de ton roi déshonore le crime, tu ne te lèves pas ! » Cette page est remarquable et laisse une impression profonde. Catherine en appelle au jugement de la postérité. Elle sort avec Don Gomez.