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Georges Lorin venait d’inventer la carte-réclame, ornée d’une aquarelle où des bébés joufflus jouent à l’humanité. Se souvient-on de ces premières compositions ? Une poésie aimable enveloppait le dessin. C’étaient des cavalcades étranges de chérubins sur des libellules, des luttes énormes entre des enfantelets armés de casques bizarres et chargés d’épées plus longues qu’eux-mêmes : une fantasmagorie, une évocation imprévue et délicieuse !

Je ne connaissais Maurice Rollinat que par quelques pièces de vers publiées ici ou là.

Mais en face du piano révélateur de cette minuscule brasserie, nous ne tardâmes pas à lier connaissance. Triste et sombre dans la solitude, il devenait un gai compagnon parmi nous. Et quand le joyeux et robuste Normand Charles Frémine et le vaporeux dessinateur et gentil poète Georges Lorin se trouvaient être de la partie, on disait des vers et des chansons, et, peu à peu, le sauvage Rollinat se laissait entraîner, et, alors, plaquant des accords sauvages, il faisait retentir avec sa rude voix les entrailles des auditeurs, en chantant la musique presque religieuse composée par lui sur des sonnets de Baudelaire.