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quantité de chaises. Personne. Ah ! si ! si ! dans un coin, à droite, un jeune homme blond, svelte, très imberbe, dissimulant mal un ennui profond ; vers un deuxième coin, un jeune homme brun, petit, qui ne disait rien non plus, mais suçait la pomme de sa canne. Moi, dès lors troisième, je m’assis dans un autre coin. Barbu, très noir, l’œil torve, la conscience un peu rassurée, j’attendis dans ce petit désert, où les lustres flamboyaient sur une caravane de chaises immobiles. Une table au milieu, avec un verre, une cuiller, du sucre, de l’eau, enfin tout ce qui fait présager un conférencier. Un quart d’heure se passa, puis une heure. Le grand blond grognait ; le petit brun, vif, quitta sa chaise, et, avisant le sofa, se coula dedans, croisa ses jambes longuement l’une sur l’autre, et se reprit à sucer sa canne d’un air somnolent. Moi, habitué dès l’enfance, par la destinée, aux événements les plus sordidement cruels, je demeurais impassible.

Je me disais in petto : Un peu de correction, mon ami ! le petit brun, c’est peut-être une de nos jeunes gloires, le blond est sans doute le fils de quelque célébrité, ne bougeons pas !

Les deux autres devaient se faire les mêmes