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pond que par suite de l’adoucissement des mœurs et des progrès réalisés dans tous les domaines, dans le domaine scientifique en particulier, l’état actuel de l’homme sur la terre ne comporte pas d’aussi lugubres tableaux que ceux que traçait Pascal ; que l’homme n’a pas lieu d’être si malheureux de savoir qu’il doit mourir, car « en attendant son tour, il sait qu’il peut attendre dix, vingt, trente ans et davantage, et que sa faculté de prévoir et de craindre, qui est courte comme son être même, ne va pas jusques-là[1] ; » qu’un jour môme pourrait venir où « soit naturellement, soit à la réflexion, l’aspect du monde n’offrirait plus tant de mystère, n’inspirerait plus surtout aucun effroi, où ce que Pascal appelle la perversité humaine ne semblerait plus que l’état naturel et nécessaire d’un fond mobile et sensible, où, par un renouvellement graduel et par un élargissement de l’idée de moralité, l’activité des passions et leur satisfaction dans certaines limites sembleraient assez légitimes, un jour où le cœur humain se flatterait d’avoir comblé l’abîme, où cette terre d’exil déjà riante et commode, le serait devenue au point de laisser oublier toute patrie d’au-delà et de paraître la demeure définitive etc… » [2].

C’est de la haute fantaisie comme on peut le voir, et de la triste fantaisie. Mais c’est affaire de goût et d’appréciation. Libre à quelques dilettanti qui ont pu se faire une existence facile de trouver qu’en somme, dans ce l)as monde les choses ne vont pas si mal qu’on le dit ; la question pour ce qui les concerne est de savoir ce qu’il peut y avoir d’égoïsme et de légèreté dans leur facile satisfaction ; et

  1. Havet, I. p. 58.
  2. Sainte-Beuve, Port-Royal. III, p. 331.