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l’affirmative ? Voyons, répond Pascal. Les chances de gain et de perte étant égales, vous devriez parier, quand même vous n’auriez que deux vies à gagner pour une seule que vous exposeriez. Ou bien encore, n’auriez-vous qu’une chance de gain sur une infinité de chances de perte, si vous aviez une infinité de vies à gagner sur une seule vie que vous engageriez, vous devriez tenter le pari. Mais ici, toutes les chances favorables se trouvent réunies : il y a une infinité de vie et de bonheur à gagner, sur l’enjeu d’une seule vie finie et misérable, et autant de chances de gain que de perte. Bien imprudent et bien insensé seriez-vous de ne pas vous empresser de parier.

Cet admirable morceau (cet accablant morceau, dit Cousin), un des plus beaux des Pensées, et des mieux travaillés, commence sous forme de dialogue et finit tragiquement. Le puissant génie de Pascal est aux prises avec la raison naturelle, indomptable, qu’il s’efforce de dompter. Il la sollicite, la poursuit et la presse. Vingt fois il l’a saisie et terrassée ; vingt fois elle se relève et lui échappe. Enfin elle paraît vaincue, elle va parier : « Je le confesse, je l’avoue… » Elle se ravise cependant : « Oui, mais j’ai les mains liées et la bouche muette : on me force à parier, et je ne suis pas en liberté : on ne me relâche pas, et je suis faite de telle façon que je ne puis pas croire. Que voulez-vous que je fasse ? »

Pascal alors frappe son dernier coup, et ce dernier coup est un véritable coup de massue. « Ah ! vous ne pouvez pas croire, quand tout vous y porte ; eh ! bien, reconnaissez enfin que vous êtes impuissante et vaincue ; rendez-vous sans conditions, ou soumettez-vous aux conditions que je requiers de vous. Faites ce que d’autres ont fait : Abêtissez-vous. »