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cal. Le voici caractérisé en deux mots : « Il est bon d’être, lassé et fatigué par l’inutile recherche du vrai bien, afin de tendre les bras au libérateur. » (XXV, 33 bis.) C’est un doute provisoire, un doute de méthode ; il l’a traversé comme on traverse un marais malsain qu’on ne peut éviter, par nécessité, mais jamais il n’a voulu s’y arrêter définitivement comme dans un lieu de repos et un séjour de délices. Sainte-Beuve a mille fois raison quand il le représente provisoirement enfermé dans son scepticisme comme un lion en cage ; mais nous croyons avoir plus raison encore de dire que le lion a brisé sa cage, et d’ajouter même qu’il ne s’y est provisoirement enfermé que pour pouvoir la mieux briser. N’est-ce pas du reste ce qu’a lui-même reconnu l’éminent critique que nous venons de mentionner lorsqu’il a dit : « Pascal, dans toute sa vie et dans toute son œuvre, n’a fait et n’a voulu faire que deux choses : combattre à mort les jésuites dans les provinciales ; ruiner, anéantir Montaigne dans les Pensées »[1].

C’est ce qui nous explique pourquoi il a tant cité Montaigne : il voulait le ruiner, l’anéantir. Comme philosophe, comme moraliste, par tous ses caractères et tous ses instincts, comme homme en général, Montaigne a offert à Pascal le type le plus accompli de l’homme naturel ; voulant peindre l’homme naturel, Pascal n’a rien trouvé de mieux que de faire poser Montaigne. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, le type de l’homme naturel n’est pas l’homme type, l’homme idéal, l’homme originel ; c’est au contraire un homme déchu de sa première nature, qui s’est composé avec les éléments divers de l’ordre contingent, où il est contraint de vivre, une seconde

  1. Port-Royal, II, p. 396.