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impressions, sentiments, sensations. Il ne peut pas faire moins sans se détruire lui-même ; car le doute absolu, qui doute de tout et de soi, est insoutenable et historiquement n’a jamais existé. Comme le dit fort bien Pascal : « Que fera donc l’homme en cet état ? Doutera-t-il s’il est ? Doutera-t-il s’il doute ? On ne peut en venir là ; et je mets en fait qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. » (VIII, 1). Mais si le scepticisme ne peut pas faire moins que d’affirmer les phénomènes de conscience et de s’affirmer soi-même comme phénomène de conscience, il ne peut faire plus et prend très aisément son parti de ne pouvoir pas faire plus. Il refuse absolument de se prononcer soit pour l’affirmative, soit pour la négative, sur la réalité objective des êtres, prétendant que le sujet est invinciblement emprisonné en lui-même et n’en peut pas sortir. Mais de cette incapacité du sujet de sortir de lui-même pour saisir hors de lui un objet quelconque, le pyrrhonisme ne conclut rien contre le sujet lui-même ; sa confiance dans sujet, dans l’esprit humain, dans la raison, comme organe de la spéculation, est entière, absolue. C’est plutôt contre l’objet externe qu’il conclut, et il a bien de la peine à ne pas s’approprier la formule du sophiste Protagoras : « L’homme est la mesure de toutes choses. » C’est-à-dire, en dernière analyse, pour qui ne se paie pas de mots, l’homme est à lui-même sa propre mesure ; en dehors de lui, il n’y a rien[1]. S’il n’y a rien, le plus sage est de ne rien chercher, de se résigner à ne rien saisir, à ne rien connaître, de ne prendre

  1. Il ne nous paraît pas qu’on puisse distinguer foncièrement, comme Saisset a essayé de le faire, l’école pyrrhonienne de l’école des sophistes. Si les hommes diffèrent, les doctrines se ressemblent terriblement. — E. Saisset. Le Scepticisme, p. 55-56.