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Son grand esprit était bien en effet peu fait à se payer d’abstractions, mais il était bien moins fait encore à se payer de vide. Nous le verrons en temps et lieu, il n’a fait que traverser cet étouffant et malsain scepticisme. Après avoir présenté à l’homme le bilan de ses misères, il lui présente celui de ses richesses, et le somme de faire la balance. A son actif il met la pensée : la pensée, c’est-à-dire ce qu’il y a en l’homme de plus grand, de plus digne, de plus noble, le centre où vient se résoudre l’unité du moi. Est-ce bien le même homme qui a parlé de la philosophie et de la raison avec un si écrasant dédain, qui maintenant, écrit les lignes suivantes, où la pensée humaine est glorifiée en termes si magnifiques : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser. Une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de la qu’il nous faut relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale (I. 6). » Ce dernier trait nous montre à quelle haute dignité Pascal élève la pensée humaine.

Par la pensée donc l’homme connait tout l’avantage que l’univers a sur lui, et l’immense disproportion de son être avec l’univers, et la force qui l’écrase et le tue, et l’infini qui l’environne et l’effraie, et sa petitesse infime, et sa profonde misère, et le vide de son âme, et son incapacité de connaître et d’être heureux. Il est donc grand puisqu’il connait et tout cela et lui-même. Bien plus : toutes ces misères dont le