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nature » ; (XXV, 84), « la coutume devient nature » (XXV, 91). De sorte que ces prétendus principes naturels sur lesquels s’appuie la morale, ne sont en définitive que des principes accoutumés. — « Qu’est-ce que nos principes naturels sinon des principes accoutumés ?… Une différente coutume en donnera d’autres principes naturels. Cela se voit par expérience ; et s’il y en a d’ineffaçables à la coutume, il y en a aussi de la coutume contre la nature, ineffaçables à la nature et à une seconde coutume… J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature. » (III, 13)[1]. Et, comme rien n’est plus changeant que la coutume, il n’y a pas et ne peut pas y avoir, dans les conditions naturelles de l’homme et de la société, de morale universelle, immuable et absolue. « La morale manque d’un point fixe, pour juger et réduire à l’unité les règles de conduite de tous les hommes. » (VI, 4). Ces règles varient selon les temps, les lieux et les peuples, et sont déterminées par l’intérêt, le caprice ou la passion. « Pourquoi me tuez-vous ? Et quoi ? Ne demeurez-vous pas de l’autre côté de l’eau ? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, et cela serait injuste de vous tuer de la sorte ; mais puisque vous demeurez de l’autre côté, je suis un brave et cela est juste. » (VI, 3). Aussi il n’est aucun crime que la morale n’ait justifié :

  1. Pascal ne nie pas l’existence en l’homme de qualités natives, de principes naturels, tout comme il ne nie pas les principes premiers ; mais il soutient que dans notre condition et dans notre état actuels, nos principes naturels sont si bien confondus avec nos principes accoutumés, qu’il nous est impossible de les en démêler, de distinguer ce qui nous vient de la nature, de ce qui nous vient de l’éducation ou de la coutume. — Cf. III, 8. « Il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout corrompu. » Et VIII, 6, tout l’article.