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Elle n’acheva pas ; sa main brûlante se cramponnait à moi avec une force convulsive.

— Quelle fripouille !… Quelle fripouille ! conclut-elle soudain ; je l’avais déjà entendue prononcer ce mot une autre fois.

Sacha répéta :

— Fipoulle !

C’était un enfant étrange, qui avait une grosse tête et de magnifiques yeux bleus ; il regardait tout ce qui l’entourait avec un doux sourire et comme s’il s’attendait à quelque chose. Il avait commencé à parler de très bonne heure ; il ne pleurait jamais et vivait dans un état de joie paisible et perpétuelle. Plutôt faible, il avait de la peine à se traîner ; il était très content quand il me voyait et aimait à se blottir dans mes bras ; il pétrissait alors mes oreilles entre ses petits doigts mous qui sentaient la violette, on ne savait pourquoi. Il mourut subitement sans avoir été malade ; le matin encore, il était paisible et joyeux comme de coutume et le soir, comme on sonnait complies, il dormait déjà de son dernier sommeil. Cette mort survint peu de temps après la naissance d’un deuxième enfant, Nicolas.

Grâce à ma mère qui intervint, je pus retourner à l’école, où je fus de nouveau heureux et considéré. Mais une fois de plus, le sort m’obligea à cohabiter avec grand-père.

Un jour, à l’heure du goûter, comme je pénétrais dans la cuisine, j’entendis ma mère qui poussait un cri déchirant :

— Evguény, je t’en prie, je t’en supplie…

— Bê-ti-ses ! déclarait mon beau-père.