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féroce et, après avoir avalé avec difficulté quelque chose qu’il avait dans la gorge, me déclara d’une voix rauque :

— Va voir ta mère qui vient d’arriver ; il me secoua si fort que j’en faillis tomber et me poussa vers la porte de la chambre.

— Vas-y, vas-y !…

Je me cognai contre les panneaux garnis de feutre et de toile cirée ; mes doigts tremblaient de froid et d’émotion et je ne parvenais pas à trouver la poignée ; enfin, j’ouvris tout doucement et m’arrêtai sur le seuil, ébloui.

— Ah ! le voilà ! s’exclama ma mère. Mon Dieu, qu’il est grandi ! Tu ne me reconnais pas ? Comme vous l’habillez ! Enfin… Mais il a les oreilles toutes blanches ! Maman, donnez-moi vite de la graisse d’oie.

Debout, au milieu de la pièce, elle se penchait sur moi et me déshabillait en me faisant tourner comme une toupie. Son grand corps était enveloppé d’une robe rouge soyeuse et chaude, aussi large qu’une pèlerine d’homme, et ornée depuis le haut de l’épaule jusqu’au bas de la jupe d’une rangée oblique de gros boutons noirs. Jamais je n’avais vu de robe comme celle-là.

Le visage de ma mère me parut plus petit qu’auparavant, plus petit et aussi plus blanc ; ses yeux, par contre, s’étaient agrandis ; ils étaient devenus plus profonds et ses cheveux plus dorés. Elle lançait mes vêtements vers le seuil de la pièce ; ses lèvres pourpres se retroussaient en une grimace de dédain et sa voix impérieuse résonnait sans cesse :