Page:Goncourt - Madame Gervaisais, 1869.djvu/185

Cette page n’a pas encore été corrigée

restait à sa prononciation ; ses conceptions n’étaient pas plus vives. Il avait toujours la même peine à assembler ses idées. Sa mère croyait cependant remarquer en lui une conscience plus grande de son infirmité, une répugnance encore plus marquée à parler, à s’exprimer autrement que par le touchant langage de ses yeux, de ses mains.

Mais le docteur avait dit vrai sur sa beauté. On eût dit que le malade avait désarmé la maladie : les convulsions avaient passé dessus sans y laisser de traces, sans toucher à ses lignes, à ses traits, à la bonté de ses yeux noirs, à son petit nez aquilin, à cette bouche tourmentée et entrouverte de tendresse, à cette figure d’ange brun sous ses cheveux coupés à la bretonne, où le seul changement qui venait après cette crise était, aux coins des lèvres, l’ombre d’un duvet follet qui semblait, chez l’enfant de tardive intelligence, une précocité de nature et de puberté.


XLV

Quand Pierre-Charles était rétabli, Mme Gervaisais l’emmenait à Castel-Gandolfo, où elle avait résolu de passer, cette année-là, les chaleurs du mois de juillet et d’août. L’enfant partait avec le bonheur des enfants à changer de place, tout à la fois sérieux et les yeux souriants. La voiture quittait les murs brûlants de Rome et entrait dans la campagne sèche et roussie, tachée çà et là de places noires, pareilles à des endroits brûlés. De lourds bœufs marchaient dans des lits de ruisseaux taris, portant leurs grandes cornes avec la majesté de cerfs lassés ; des moutons, couleur de pierre, broutaient la plaine, immobiles, sous un ciel entièrement strié de blanc. Au lointain, les montagnes apparaissaient comme les côtes que l’on aperçoit d’un bateau, avec un aspect de rochers azurés sortant des basses vapeurs d’une Méditerranée.

La route commençait à monter, et un venticello venant de la mer apportait sa fraîcheur aux voyageurs. Des haies de roses, des paysans portant des roses aux oreilles, annonçaient Albano. Le voiturier en traversait au grand trot les rues aux maisons d’un gris de cendre ; puis il s’engageait dans la Galerie, le chemin en corniche sur le dévalement des champs d’oliviers, où, sous la voûte d’arbres séculaires faisant l’ombre d’une forêt, d’étroites percées montraient, à l’infini de la vue, une poussière de lumière marine.

Et bientôt s’ouvrait, dans un mur crénelé, la large et unique rue de Castel-Gandolfo, ayant au fond le palais du pape et son balcon de bénédiction, la rue avec ses maisons jaunes, ses jupes rouges de femmes, son pullulement de marmaille sur des marches d’escalier, ces trous étranges, ces portes, ces fenêtres de bâtisses écroulées, ouvrant à vide sur des morceaux de bleu, qui