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les supplices mesquins et taquins qu’invente la méchanceté des imbéciles, le martyre sous la torture de la rancune d’un sot qui lui jetait toujours, et à propos de tout, sa phrase ironique : « Vous, une femme si supérieure ! » Un mari qui se faisait l’ennemi intime de sa vie, de son repos, de sa tranquillité, de ses amitiés, de ses goûts et de ses idées, éloignait de son salon les intelligences qu’elle tâchait d’y grouper, lui infligeait le supplice, dont il savait la cruauté, de la perpétuité du tête-à-tête… Et cela pendant dix ans ! dix ans pendant lesquels elle s’était réfugiée dans la distraction sèche et la consolation austère des livres ; dix ans où, comme la Rachel de l’Écriture, elle avait crié vainement à son bourreau : « Monsieur, donnez-moi des enfants… ou j’en mourrai ! » Dix ans sans être mère ! Enfin : elle avait eu cet enfant-là…

Elle regarda son Pierre-Charles, sa sieste douce sur le canapé, le pur visage de son sommeil, arrêtant sur lui le souvenir de son tardif bonheur maternel. Et en même temps une grande tristesse lui vint sur la figure.


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